LES CELTES

Le mot même de « Celtes » résonne dans notre mémoire collective à la manière d’un coup de tonnerre. A la seule évocation de ce nom, vient s’imposer l’image de grands guerriers, combattant pour la plupart torse nu, riant des blessures infligées par l’ennemi et se moquant encore davantage de la mort. Nous imaginons également un peuple vivant en parfaite harmonie avec la nature, comme ces « peaux-rouges » qui subirent, d’ailleurs, un sort à peu près similaire à celui des Celtes. Enfin, nous ne pouvons évoquer les Celtes sans songer à ces hommes vénérables, portant une longue barbe et tout de blanc vêtus, qui coupaient le gui à l’aide d’une serpe d’or lors de cérémonies à connotation apparemment animiste.

Cependant, la réalité est sans doute bien plus complexe qu’il n’y paraît. L’ennui, avec les Celtes, c’est que nous ne connaissons que très peu de choses à leur sujet. La faute en revient aux Celtes eux-mêmes qui ne nous ont laissé aucune source écrite. Bien entendu, nous avons les récits des auteurs latins, qu’ils aient été ou non contemporains. Mais nous ne pouvons regarder ces textes sans une certaine défiance, surtout lorsqu’ils proviennent d’ennemis déclarés à la cause celte, comme ce fut le cas pour Jules César. Toutefois, les vestiges archéologiques nous ont donné quelque matière à réflexion. Et surtout, nous avons les manuscrits irlandais du haut Moyen-Âge, sans lesquels nous serions pratiquement ignorants de la mythologie celtique.

Dans ce qui va suivre, nous allons essayer de percer ce qui convient d’appeler le « mystère celte ». Les pièces que nous livrons au lecteur sont, il est vrai, celles d’un puzzle incomplet. Elles nous permettront, néanmoins, de mieux comprendre cette affirmation d’Aristote : « La philosophie a commencé chez les Celtes et la Gaule a été l’institutrice de la Grèce. »

Les Celtes, ou les Galates comme les appelaient les Grecs – ce dernier nom correspondant au mot latin Galli (les Gaulois) – entrèrent officiellement dans l’histoire aux VIIIème et VIIème siècles avant Jésus-Christ, soit au début de « l’Âge du Fer ». Jusqu’au IVème siècle avant J.-C., leur installation en Europe s’était toujours effectuée de façon pacifique, se mêlant aux populations autochtones et partageant avec elles culture et technologie. Dès la fin du Vème siècle avant J.-C., la colonisation se fit plus brutale. C’est ainsi que l’Italie vit déferler sur son territoire de nombreuses hordes venues de la Gaule Transalpine, soit de notre France actuelle. D’après Tite-Live, c’est un excédent de populations qui jeta sur les routes quelques 300.000 Celtes en quête de nouveaux territoires. Si l’on s’en rapporte à l’Histoire ou à la légende (ne pouvant déterminer avec précision à quelle catégorie appartiennent les faits que nous allons rappeler), Ambigat, le roi des Bituriges, fut confronté à un risque réel de famine au vu du nombre toujours croissant de bouches à nourrir. Pour résoudre ce problème, il n’eut pas d’autre choix que celui d’ordonner un exode massif. Il demanda donc à ses deux neveux, Ségovèse et Bellovèse, de s’exiler avec toutes les populations qui dépendaient d’eux. Un oracle intervint et indiqua la voie à suivre à chacun des neveux. Ségovèse dut prendre la route qui conduisait à la forêt hercynienne, alors que Bellovèse prenait la direction de l’Italie. Une autre version, celle de Pline, veut que ce soit un artisan helvète qui, de retour de Rome où il avait exercé son art, incita ses compatriotes à venir profiter d’un climat plus propice après leur avoir montré des figues sèches, du raisin et des échantillons d’huile et de vin. Toujours est-il que les premiers Gaulois parvenus de l’autre côté des Alpes semblent s’être installés sans heurt, car la Cisalpine comprenait déjà des populations celtes. Cependant, à un moment donné, les choses se sont aggravées, soit à cause de l’arrivée de troupes gauloises trop importantes, soit suite à des conflits locaux auxquels les Gaulois prenaient part en tant que mercenaires. Leur réputation de guerriers sans peur avait effectivement précédé les Gaulois qui se voyaient engagés, tour à tour, par les Etrusques, les Grecs ou encore les Carthaginois.

En ce qui concerne la prise de Rome par les Celtes, survenue en 386 avant J.-C., on subodore que ce fameux événement est la résultante de la perfidie d’ambassadeurs romains venus apporter leur soutien à une cité étrusque en guerre avec les Sénons (peuple celtique originaire du bassin de l’Yonne). Ces derniers, sous la conduite de leur chef, Brennus, s’élancèrent donc vers la ville éternelle. Arrivés à quelques kilomètres de Rome, au confluent de l’Allia et du Tibre, se présentèrent devant eux les légions romaines, composées de troupes de nouvelle levée et commandées par des chefs plus orgueilleux que compétents. Au premier choc, les légions furent enfoncées par la fureur gauloise. L’aile gauche de l’armée romaine fut complètement anéantie après avoir succombé sous l’épée des Sénons ou péri noyée dans les eaux du Tibre. Quant au centre et à l’aile droite, ils se disloquèrent d’eux-mêmes, les troupes les composant ayant honteusement pris la fuite sans avoir essayé d’opposer la moindre résistance face aux Gaulois. Ayant désormais la voie libre, Brennus et ses hommes s’emparèrent de Rome sans coup férir, la cité n’étant plus occupée que par quelques femmes et des vieillards (l’image d’un Gaulois tirant la barbe d’un vieux sénateur est parvenue jusqu’à nous). Seul le Capitole, perché sur sa colline, résista aux assaillants, grâce notamment au désormais célèbre épisode des oies. Après avoir occupé Rome pendant sept longs mois, les Sénons consentirent à quitter les lieux après avoir touché une rançon fixée à mille livres d’or. Lors de la pesée, les Romains accusèrent les Gaulois de tricher, en soupçonnant que les poids apportés par ces derniers étaient pipés. Rentrant dans une sombre colère, Brennus jeta son épée dans la balance tout en ajoutant ces mots : « Vae victis ! » (Malheur aux vaincus !). Puis, les Sénons se retirèrent pour aller s’installer sur la côte adriatique. Les auteurs latins nous rapportent que la cité antique fut complètement détruite par les Gaulois, ayant été incendiée juste avant leur départ. Mais ce fait apparaît comme fort douteux, car aucune trace d’un quelconque incendie à cette époque ne fut trouvée par les archéologues. Il n’en demeure pas moins que les Romains ne pardonnèrent jamais aux Gaulois cette terrible humiliation et n’eurent de cesse d’assouvir leur vengeance. C’est Jules César, pendant la guerre des Gaules (de 58 à 52 avant J.-C.), qui parviendra à laver l’affront de la plus terrible des manières, en faisant périr un million de Gaulois sous le glaive, en réduisant à l’état d’esclaves un autre million, et après avoir détruit d’innombrables villages et cités.

Plus de cent ans après la prise de Rome, les Gaulois firent à nouveau parler d’eux, cette fois de la Grèce à l’Asie mineure. En 280 avant J.-C., des troupes conduites respectivement par Kerethrios, Bolgios et Brennos, s’emparèrent presque simultanément de la Thrace, de l’Illyrie, de la Macédoine et de la Péonie. Depuis ce dernier territoire, s’étalant du nord de la Grèce jusqu’à l’ouest de la Bulgarie, Brennos, secondé par Akichorios, décide de descendre vers le sud. Son chemin est jalonné d’embûches et rares sont les jours où il ne doit pas livrer bataille. Bien qu’à chaque fois victorieux, ses effectifs fondent comme neige au soleil. En 279 avant J.-C., il parvient toutefois devant Delphes, avec une armée de 65.000 hommes. Là, on ne sait plus très bien ce qui se passe, les récits étant contradictoires. Selon les uns, Brennos a mis à sac la cité de Delphes et s’est emparé de ses fabuleux trésors, lesquels auraient, ensuite, été amenés jusqu’en Gaule, plus précisément à Toulouse. D’après d’autres auteurs, Apollon lui-même serait intervenu pour empêcher la profanation de son temple en provoquant la défaite des troupes gauloises. Aux termes du combat, Brennos, blessé, se serait donné la mort, ne supportant pas le déshonneur de la défaite ou voulant échapper à sa future condition de prisonnier (ou d’esclave). On retrouve les rescapés de l’armée de Brennos en 278 avant J.-C., ces derniers ayant été appelés en Asie Mineure par Nicomède de Bithynie afin de l’aider à combattre les rois séleucides ou son propre frère Zipoétès. En remerciement pour leur action décisive, Nicomède leur accorda un territoire connu, depuis, sous le nom de Galatie. Toutefois, les Galates ne purent y vivre en paix, devant sans cesse prendre les armes contre les royaumes hellénistiques ou celui de Pergame. Après avoir été définitivement vaincus par Attale 1er, roi de Pergame, celui-ci, ayant reconnu leurs grandes qualités guerrières, les prit à son service en tant que mercenaires (en – 218).

Ainsi que nous venons de le voir, les Celtes ne furent pas très loin de dominer une partie non négligeable de la planète. Cependant, leur règne ne dura guère que quelques siècles, victimes qu’ils furent d’invasions venant aussi bien du nord que du sud. De plus, contrairement aux Celtes qui assimilèrent toujours les autres cultures dans une véritable symbiose, leurs ennemis, et particulièrement les Romains, eurent la volonté évidente de faire disparaître l’une des plus grandes civilisations que le monde ait connues. On s’est même acharné à détruire ce qui constituait l’âme même de ce peuple, en éliminant, physiquement, leurs maîtres à penser : les druides. Comme nous l’avons vu un peu plus haut, sans doute y avait-il de la part des Romains un désir de vengeance poussé à son paroxysme. Mais cela n’explique pas tout. Force est de constater que le mystère plane au-dessus de ces populations dont nous ne connaissons toujours pas aujourd’hui les véritables origines. De fait, si nous sommes capables de suivre très exactement leur parcours à partir du VIème siècle avant Jésus-Christ, et de localiser, à partir de cette date, leur centre d’émergence qui était constitué par l’Allemagne méridionale, la Suisse, l’ouest de l’Autriche, le nord-est de la France et le sud de la Belgique, nous devons nous en remettre aux simples suppositions en ce qui concerne les périodes antérieures. Habituellement, on considère que les Celtes sont des Indo-Européens ou des Indo-Aryens, ce qui signifie que leur lieu d’origine se situerait quelque part entre l’Inde et les Carpates. Cette filiation avec l’Inde, nous la retrouvons dans la racine de plusieurs noms. Ainsi, la Tara indienne, déesse de la Parole, a assurément des points communs avec le Tara irlandais, lieu où le roi Ardri dispensait sa parole aux autres rois. Mais là s’arrêtent les similarités avec l’Inde, car il est difficile de comparer un Indien avec un Celte blond aux yeux bleus. Même leur groupe sanguin ne correspond pas. Alors que le groupe B prédomine sur le continent sud-asiatique, les Celtes étaient exclusivement du groupe O. Nous ferons ici un aparté pour signaler au lecteur que 43 % de la population française, dont une partie peut se prétendre « descendants des Gaulois », présentent un groupe sanguin de type O. Cette proportion est même encore plus importante chez la population basque avec 56 %. En revanche, la présence du groupe O parmi plusieurs peuples du continent américain a véritablement de quoi stupéfier : 96 % des Indiens Nord-Américains sont de groupe O ! Ce chiffre atteint les 97 % chez les Mayas et les 100 % chez les Indiens du Pérou ! Outre le fait que ce résultat semble accréditer cette croyance des Indiens du continent Nord-Américain qui considèrent les Celtes comme leurs frères, on est en droit de se demander si une terre commune n’a pas été le berceau de ces peuplades a priori disparates. On pense, bien entendu, à l’Atlantide, mais aussi à un autre continent englouti : Mu. Si nous ne pouvons développer ici ces hypothèses, retenons toutefois que ces théories pourraient trouver une certaine accréditation dans les propos de Salomon Reinach, le célèbre archéologue et conservateur du Musée des Antiquités Nationales à Saint-Germain-en-Laye (de 1902 à 1932), lequel considérait que les Celtes étaient le peuple le plus vieux du monde. Enfin, pour en terminer avec les origines mystérieuses des Celtes, nous citerons, à titre anecdotique, la littérature grecque sur l’Hyperborée. A la lecture de ces textes, nous avons toutes les raisons de croire que les individus désignés par les Grecs sous le nom d’ « Hyperboréens » n’étaient autres que les Celtes.

 

Après avoir entr’aperçu l’origine des Celtes, nous allons maintenant aborder l’apport de cette grande civilisation à notre monde, certaines de leurs techniques et autres inventions étant toujours utilisées de nos jours. Ce faisant, nous mettrons à bas, une bonne fois pour toutes, cette image de rustres querelleurs vivant dans des huttes et passant leur temps à festoyer lorsqu’ils ne bataillaient pas. De la même manière, le terme de « barbares », dont les Grecs et les Romains avaient coutume d’affubler les Celtes, devra être replacé dans son sens premier. Car loin d’avoir la connotation péjorative que nous lui connaissons aujourd’hui, le mot « barbare », provenant du grec ancien « barbaros », signifie tout simplement « étranger ».

Avec l’arrivée des Celtes commença l’Âge du Fer. Cette première assertion est de taille, puisqu’elle sous-entend que c’est aux Celtes que nous devons l’usage du fer, un métal qui n’est pas si simple à travailler pour lui donner la solidité voulue et dont la réduction du minerai demande également de bonnes compétences techniques. Et bien que les forgerons gaulois n’aient pas été les seuls à dominer cette matière – les habitants du nord de l’Inde pouvant également se vanter d’être des maîtres dans ce domaine depuis une époque relativement reculée – il est certain que les armes qu’ils donnèrent aux guerriers celtes conférèrent à ces derniers un avantage indéniable sur leurs adversaires. N’oublions pas, en effet, que les troupes romaines et grecques furent longtemps équipées d’armes de bronze, un alliage qui ne résistait pas très longtemps sous le choc du fer. Outre son application militaire, le fer s’avéra aussi fort utile pour les progrès de l’agriculture. Comme chacun sait, les Gaulois furent les inventeurs de la charrue, cette dernière ayant été améliorée, en Rétie gauloise, par l’ajout de deux petites roues. Plus surprenante encore fut l’invention, par les Celtes, d’une véritable moissonneuse. Les Gaulois ayant été de grands producteurs de blé, ils s’étaient facilité la tâche en mettant au point une sorte de tombereau à deux roues dont le bord antérieur était armé de dents qui arrachaient les épis. Une fois arrachés, les épis tombaient automatiquement dans le tombereau. Et lorsqu’il s’agissait de faucher les prés, les Gaulois utilisaient une faux qui coupait l’herbe haute sans toucher à l’herbe courte. Rappelons-nous que ces inventions remontent à environ 2.500 ans. Or, lorsqu’on étudie l’histoire des moyens agraires, on a l’impression qu’aucune avancée ne fut réalisée jusqu’au XIXème siècle. Bien au contraire, certaines techniques employées par les Gaulois, comme celle du chaulage, furent oubliées pendant près de deux millénaires. Pour amender les terres trop acides, les Celtes répandaient de la chaux. Mais l’oubli de cette méthode conduisit des territoires, comme le Ségala (englobant une partie non négligeable du département de l’Aveyron), à une grande pauvreté. Ce n’est, en effet, qu’au XIXème siècle que les agriculteurs de nos régions redécouvrirent l’emploi de la chaux et purent, ainsi, mettre fin à des famines répétées.

Si par leurs activités agricoles les Gaulois ont façonné nos campagnes, on leur doit également une urbanisation imposante, mais intelligente, dont les bases ont servi à tous leurs successeurs. De sorte que la configuration de la France, avec ses villages et ses villes, a très peu évolué depuis l’époque des Gaulois, du moins au niveau du choix des emplacements pour l’habitat. Du reste, combien de cités ou de petits bourgs portent encore, dans leur dénomination, l’empreinte celte ? Si nous prenons l’exemple de notre capitale, Paris, force est de reconnaître que son nom nous vient tout droit de la tribu celte des « Parisii » qui s’était installée dans l’actuelle région parisienne. Et que dire devant tous ces noms se terminant par « ac » comme Mérignac ou Bergerac ? Rien que dans le département de l’Aveyron, connu pour avoir abrité les fameux Rutènes libres (ceux-là mêmes qui résistèrent le plus longtemps aux troupes de César et qui fournirent un contingent de 6.000 archers à la bataille d’Alésia), nous dénombrons pas moins de soixante-huit villages ayant une terminaison en « ac », à l’instar de Najac, Toulonjac, Lunac, Camjac, Ceignac, etc… A cela, une explication toute simple : le suffixe « ac » dérive du celte « acos », mot se référant à un « lieu habité », d’où ce grand nombre de toponymes se terminant par « ac ».

Dans sa Guerre des Gaules, Jules César ne se contente pas de nous décrire les nombreuses batailles qui opposèrent les Romains aux Celtes ; il nous parle aussi de ce qu’il voit autour de lui. C’est ainsi que nous apprenons l’existence, en Gaule, de « vici » (terme utilisé pour les bourgs ou les villages), de « castella » (petites places fortes avec une ébauche de ce qui sera, plus tard, nos futurs châteaux) et des « oppida » (véritables villes fortifiées). Les « vici » étaient constitués de maisons essentiellement faites de bois. Loin d’être rudimentaires, ces constructions étaient le résultat d’un travail artisanal très soigné et très technique, surtout au niveau des charpentes, véritables chefs-d’œuvre d’architecture que n’auraient pas reniés nos artisans-compagnons les plus doués. De plus, ces habitations présentaient un confort bien supérieur à celui des froids palais de pierre romains. Les « castella », pour leur part, étaient de véritables résidences princières. Si l’on en juge par les restes retrouvés sous le tertre 4 de la Heuneburg, présentant un édifice de 300 m² divisé en 7 pièces, ces demeures étaient particulièrement confortables. Leur emplacement isolé dans les campagnes exigeait, néanmoins, qu’on les place au milieu d’un quadrilatère fermé par une ou plusieurs palissades et entouré de fossés. Quant aux « oppida », il s’agissait d’enceintes fortifiées pouvant accueillir un grand nombre d’habitants. Contrairement aux « urbs » qui étaient des villes ouvertes, la destination première des oppida était d’offrir un asile aux habitants des alentours et à leur bétail, en cas de raids ennemis. Toutefois, l’oppidum devint rapidement un lieu occupé en permanence, comprenant en son sein des maisons construites sur un plan rectangulaire avec un niveau à demi-souterrain auquel on accédait par un escalier intérieur de plusieurs marches. Les oppida, qui pouvaient couvrir plusieurs centaines d’hectares, furent ainsi de véritables villes fortifiées aux populations plus ou moins importantes dépassant, parfois, les 100.000 âmes. Ce fut notamment le cas de l’oppidum de Bratuspantium. Occupé par la tribu celte des Bellovaques, ces derniers, lors du soulèvement de la Gaule, promirent une armée de dix mille hommes et étaient réputés pouvoir fournir jusqu’à cent mille guerriers, ce qui laisse présumer de l’étendue de cet oppidum… D’autres oppida rivalisèrent de grandeur, comme à Avaricum (Bourges) où la seule activité artisanale, consacrée essentiellement aux métaux, couvrait, comme à Lyon, une superficie supérieure à un kilomètre carré. Mais plus remarquable encore était l’enceinte des oppida, haute de six mètres et pratiquement indestructible puisque certains de ces murs ont traversé les siècles sans encombre pour parvenir jusqu’à nous. Jules César, lui-même, fut rempli d’admiration devant ce type de construction, au point qu’il nous en livra une description des plus précises :

« Voici du reste, le mode de construction ordinaire des murailles gauloises. Des poutres, d’une seule pièce en longueur, sont posées sur le sol, d’équerre avec la direction du mur et à la distance de deux pieds les unes des autres ; puis on les relie, dans l’œuvre, par des traverses, et on les revêt entièrement de terre, à l’exception du parement qui est formé de grosses pierres logées dans les intervalles dont nous venons de parler.

Ce premier rang solidement établi, on élève par-dessus un deuxième rang semblable, disposé de manière que les poutres ne touchent pas celles du rang inférieur, mais qu’elles n’en soient séparées que par le même intervalle de deux pieds, dans lequel on encastre pareillement des blocs de pierre bien ajustés. On continue toujours de même jusqu’à ce que le mur ait atteint la hauteur voulue. Ce genre d’ouvrage avec ses pierres et ses poutres alternées régulièrement fait un ensemble qui n’est point désagréable à l’œil ; il est, de plus, parfaitement adapté à la défense des places, attendu que la pierre y préserve le bois de l’incendie, et que les poutres, longues souvent de quarante pieds et reliées entre elles, dans l’épaisseur du mur, ne peuvent être brisées ni détachées par le bélier. »

Par contre, César omet de dire que des clous et autres chevilles de fer étaient employés dans l’édification de la muraille. Et ces pièces avaient ceci de particulier qu’elles avaient été forgées dans le fer le plus pur et qu’elles étaient presque inattaquables à la rouille. Autre caractéristique concernant les clous, à tête carrée : ils provenaient tous d’une seule fabrique, puisqu’on les retrouva, dans leur forme parfaitement identique et issus du même minerai de fer, dans tous les oppida de la Gaule.

Concernant toujours les oppida, il nous faut encore observer que les murs d’enceinte étaient, partout en Gaule, construits sur un modèle unique. Ce qui signifie que des règles d’édification avaient été établies et qu’elles furent, ensuite, respectées sur tout le territoire gaulois, malgré la diversité des tribus et des différends pouvant exister entre elles. Or, une seule caste était capable d’imposer sa volonté à tous les peuples celtes : la caste des druides.

Enfin, pour en terminer avec la technologie gauloise, nous nous contenterons de signaler quelques inventions relevées par Pline l’Ancien et dont nous ne pourrions pas nous passer aujourd’hui :

– le savon que les Celtes, très attachés à la propreté, avaient d’abord mis au point à partir de suif ou de cendres,

– et les matelas et les lits rembourrés qui étaient issus de l’esprit inventif des Gaulois.

Avec les Celtes se développa une autre pratique : l’inhumation. Durant l’âge du bronze, les peuples avaient pour habitude d’incinérer leurs morts. Mais, à partir de 900 avant Jésus-Christ, cette coutume fut peu à peu abandonnée par les Celtes pour pratiquement disparaître. Durant tout l’Âge du Fer, on vit pousser des tertres artificiels, faits de terre ou de pierre, qui étaient autant de sépultures. De nos jours, certains de ces tumuli sont encore visibles, et par centaines à certains endroits. L’exploration de ces tombes a justement permis aux archéologues d’en connaître un peu plus sur nos ancêtres, car les défunts étaient généralement enterrés avec des objets leur ayant appartenu, comme leurs armes. C’est ainsi que furent découvertes de nombreuses épées de fer, ordinairement longues de 75 à 85 cm, plus exceptionnellement d’un mètre de long. Outre les épées, les lances et autres boucliers, prenaient place à côté de la personne disparue des rasoirs, des bracelets, des torques et toutes sortes de bijoux (dans les tombes féminines). Ce qui démontre, d’une part, la place importante qu’occupait la femme dans la société celtique et, d’autre part, une certaine aisance du peuple celte qui donnait de l’ouvrage à ses nombreux artisans. Dans les sépultures les plus riches, notamment les tombes princières, les défunts étaient ensevelis dans leur costume d’apparat (avec leurs magnifiques parures) et reposaient, bien souvent, dans un char massif à quatre roues, dit char processionnel. Du mobilier était également disposé avec un service à boire et à banqueter, sans oublier l’harnachement du cheval du défunt, ce qui nous permet d’imaginer la taille que pouvaient présenter certaines chambres funéraires (celle de Vix, en Côte-d’Or, atteignait quatre mètres de côté).

Ce bref aperçu du procédé de l’inhumation chez les Gaulois nous donne quelques indications sur leurs vie et mœurs. La présence des épées, par exemple, nous indique clairement la place qu’occupait le combat dans leur vie. Il est vrai que, chez les Celtes, chaque homme libre était astreint au service militaire. Au moment de partir en guerre, on convoquait tous les hommes en état de porter les armes, et malheur à celui qui répondait le dernier à cet appel impérieux. Lorsqu’ils ne défendaient pas leur propre territoire, il arrivait aux Celtes de louer leurs services en tant que mercenaires. C’est ainsi qu’en 369 avant Jésus-Christ, l’armée envoyée au secours des Spartiates comptait dans ses rangs de nombreux fantassins celtes, et que Philippe V, roi de Macédoine, pouvait s’enorgueillir d’avoir, en plus de ses phalanges, des cavaliers galates ; jusqu’à la reine égyptienne Cléopâtre qui eut recours aux gaulois pour former sa garde rapprochée. Dans la bataille, les Celtes se battaient avec fureur, parfois même avec sauvagerie. Couper la tête de leurs ennemis tués était, pour eux, une pratique courante. Ils rapportaient ensuite chez eux ces trophées ensanglantés, suspendus à l’encolure de leurs chevaux ou enfoncés au bout de leurs lances, ce qui peut paraître, de nos jours, comme un acte de pure barbarie. Toutefois, il faut se replacer dans le contexte de l’époque pour bien comprendre que ce sont les temps qui voulaient ça. Les Romains, de leur côté, n’hésitaient pas à faire pire, usant même de tortures très raffinées quand le temps leur en était laissé. Ce qui, par contre, distinguait les Gaulois des autres peuplades, c’était un sens de l’honneur poussé à l’extrême. Par exemple, lorsque les Celtes étaient vaincus, ils n’hésitaient pas à retourner leurs armes contre eux-mêmes, plutôt que d’avoir à supporter l’humiliation de la défaite ou de voir leur liberté confisquée. Le groupe sculpté de la villa Ludovisi, représentant un Gaulois se tuant (ou Brennos lui-même), en est l’illustration parfaite. De la même manière, ils s’avançaient, l’arme à la main, au-devant des vagues qui venaient submerger leurs territoires côtiers – ce qui se produisit notamment lors de l’effondrement de la Bretagne marécageuse qui fut à l’origine de l’engloutissement des villes de Gesocribate, d’Occismor ou de Regina – acceptant sans broncher de périr engloutis par les eaux, seul moyen pour eux d’échapper à la honte d’une fuite. Ephore de Cymé, célèbre historien né vers 400 avant Jésus-Christ et connu pour son « Histoire universelle des grecs et autres peuples depuis le retour des Héraclides », faisait d’ailleurs état de ces Celtes sans cesse repoussés par la mer. Il précisa que, chez ces peuples, l’eau faisait davantage de victimes que les guerres elles-mêmes. Et combien de Gaulois bravèrent les incendies ou se refusèrent à éviter la chute d’un mur pour ne pas être déshonorés ? C’est encore ce sens de l’honneur qui poussa les Allobroges à refuser de livrer aux Romains les princes des Salyi (ancien peuple de la Provence) qui avaient trouvé refuge chez eux.

Autant les Celtes étaient farouches au combat, autant ils étaient hospitaliers lorsque les armes avaient cessé de parler. Du reste, la porte de leur maison était toujours ouverte, et le passant était assuré d’y trouver le gîte et le couvert. Accueillir un étranger était regardé, par les Gaulois, comme un bienfait des dieux.

Autre spécificité du peuple Gaulois : le respect des femmes. Ces dernières étaient si hautement considérées qu’il n’était pas rare de les voir participer aux conseils et donner leur avis. On faisait également appel à elles pour juger les différends opposant des chefs ou des tribus. De sorte qu’il arriva que des tribunaux soient entièrement constitués de femmes. D’après Plutarque, le jugement des femmes fut sollicité après leur intervention dans une terrible affaire qui faillit voir s’affronter deux armées gauloises : « Avant la conquête de la Cisalpine par les Gaulois, il y eut chez eux une terrible guerre civile. Les femmes s’avancèrent au milieu des armées et, prenant le rôle d’arbitres, réconcilièrent les parties en présence. Depuis lors, les Celtes n’ont pas cessé, quand ils délibèrent sur la paix et la guerre, d’admettre leurs femmes au conseil et de faire régler par leur arbitrage les contestations qu’ils ont avec leurs alliés. »

Pour être attentives à maintenir la paix, les femmes n’en étaient pas moins capables de prendre part aux combats. On se souvient notamment du rôle joué par les femmes Helvètes dans la défense de retranchements contre les Romains. Et que dire de cette femme gauloise dont l’historien Ammien Marcellin nous dresse le portrait, alors qu’elle est venue prêter main-forte à son mari engagé dans une querelle ? Il nous la montre « verdâtre, le cou gonflé, frémissante, balançant ses bras blancs énormes, jouant des pieds et lançant ses poings comme des catapultes chassées par la corde enroulée. » Les femmes celtes étaient assurément courageuses et n’hésitaient pas à accompagner leurs époux à la guerre, voire à les encourager – jusqu’à les exciter – dans la bataille.

Dans la vie courante, donc sortis du contexte des combats, les Gaulois étaient, comme nous l’avons vu, des agriculteurs accomplis. Le travail de la mine ne leur était pas non plus inconnu et ils extrayaient de la terre (en plus du sel) divers métaux, à l’instar du fer, du cuivre, de l’argent et de l’or. Ces métaux étaient ensuite travaillés par des artisans aux mains expertes, qu’ils soient forgerons ou orfèvres. Mais la production gauloise n’était pas destinée qu’aux seuls Gaulois, ces derniers ayant parfaitement intégré le principe des échanges, lesquels s’effectuaient dans un axe nord-sud allant de la Baltique jusqu’à l’Adriatique. Parmi les produits que recevaient les Gaulois se trouvaient le vin des Etrusques et l’ambre des Germains. L’ambre était particulièrement prisé des Gaulois qui en faisaient des bijoux portés par toute la population et principalement par les enfants, les colliers réalisés à partir des « larmes d’Apollon » étant censés les protéger des maladies. Cet ambre provenait essentiellement de l’île d’Abalum, sur la côte orientale de la Baltique, dont le nom n’est pas sans rappeler l’île d’Avallon de la légende arthurienne ; l’étymologie de ces deux îles faisant référence au pommier, l’arbre de la connaissance par excellence.

Les bijoux évoqués plus haut nous rappellent que les Celtes, qu’ils soient hommes ou femmes, portaient généralement des bracelets, des anneaux ou encore des torques, ces derniers étant symboles de puissance, voire de commandement lorsqu’ils étaient en or. L’habillement des Gaulois, constitué principalement d’un pantalon, d’une tunique et d’une saie portée sur l’épaule, leur permettait d’agrémenter leurs vêtements d’objets tels que des boucles de ceinturon finement décorées ou des fibules (agrafes de métal) ciselées avec tout autant de soin. Il s’agissait d’un véritable travail d’orfèvre – mis également au service des casques, des boucliers et des fourreaux des épées – dans lequel les artisans celtes exprimaient tout l’art de leur peuple. Spirales, swastikas et autres entrelacements venaient prendre place aux côtés de personnages ou d’animaux parfois fabuleux. Pour être esthétiques, ces motifs n’en avaient pas moins un sens, car l’art celte, tout comme l’art amérindien, n’était pas un art « gratuit ». Chaque composition devait délivrer un message en tant que représentation d’un savoir. Il est donc primordial d’étudier d’un peu plus près cet art celte, lequel nous permettra d’entrevoir quelques joyaux de leur culture.

A l’époque qui nous intéresse, l’art se déclinait principalement sous forme statuaire. De sorte que l’on a longtemps considéré que les Grecs et les Romains, par exemple, surpassaient les Celtes dans ce domaine. C’est oublier que les artistes celtes ont, eux aussi, produit des statues de qualité, et ce, dès le VIème siècle avant notre ère. Bien qu’ils n’avaient pas pour habitude de représenter la divinité – comment était-il possible de matérialiser un principe abstrait ? – ils ont façonné dans la pierre des personnages grandeur nature. A partir de l’occupation romaine, les Gallo-Romains se sont risqués à personnifier des aspects du principe divin, sans toutefois perdre de vue ce savoir qui leur venait tout droit de leurs ancêtres. Ainsi, est-ce avec un certain bonheur qu’ils ont réalisé des autels et autres bustes. Si peu de ces chefs-d’œuvre sont parvenus jusqu’à nous, à cause de la destruction systématique par les Chrétiens des statues païennes, quelques-unes de ces créations ont miraculeusement échappé à l’obscurantisme religieux. C’est notamment le cas d’un autel du IIème siècle de notre ère découvert en 1837 et visible au Musée Saint-Rémi de Reims. L’autel en question représente un dieu cornu entouré de deux personnages qui ont été identifiés comme étant Apollon et Hermès. Si l’influence greco-romaine est ici certaine, le dieu cornu est, quant à lui, d’inspiration celtique. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer le torque qu’il porte à son cou. On aurait pu s’interroger sur le nom de ce personnage si, le 16 mars 1711, n’avait été mis à jour, dans un mur de fondation de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le fameux « Pilier des Nautes ». Cette colonne, datée du 1er siècle après J.-C., est, en fait, constituée de quatre blocs, ou autels, dont l’un d’eux présente, sur une face, un buste humain et cornu avec, au-dessus, l’inscription de « CERNUNNOS ». Il s’agit du dieu-cerf, souvent représenté assis en tailleur (ou en position de Bouddha), maître de la végétation. C’est sans doute pour cette raison que, sur l’autel de Reims, il est figuré en train de nourrir un taureau et un cerf à l’aide de graines qu’il fait sortir de son sac. On notera que Cernunnos était parfois sculpté sous une forme tricéphale, forme que nous retrouvons sur un autre autel conservé par le musée de Reims, décidément riche en trouvailles archéologiques. La tête tricéphale (à laquelle peut être associé le triskèle relevant du même symbolisme), nous parle d’une trinité de dieux gaulois qui n’étaient autres que Taranis, Teutatès et Esus, divinités que nous verrons un peu plus loin. Ces trois faces d’une même tête nous ramènent aussi aux trois plans d’une seule énergie et, d’un point de vue trinitaire, à l’union du corps, de l’âme et de l’esprit.

Dans un registre plus artisanal, nous remarquons que les divers récipients utilisés par les Celtes faisaient l’objet de décorations bien particulières, œuvres de véritables artistes. Là encore, il n’y avait pas de place pour l’improvisation. Le symbolisme était omniprésent et offert à la vue de tous, dans le but évident de transmettre une connaissance qu’on ne pouvait découvrir autrement, en absence de tout texte. Les œnochoés, tout d’abord, présentaient un décor le plus souvent fantastique, principalement au niveau de l’anse. Pour réaliser ces cruches à vin, tout en bronze, leurs auteurs faisaient preuve d’une grande dextérité et utilisaient une haute technologie qui ferait l’admiration de nos plus modernes maîtres-bronziers. Il en allait de même pour les situles, ces vases de bronze entièrement décorés de frises mettant en scène des personnages et/ou des animaux. Or, tant les œnochoés que les situles remontaient au VIème siècle avant notre ère ! Pour rester dans les récipients, nous allons maintenant parler du fameux chaudron de Gundestrup, véritable chef-d’œuvre. Datant du 1er siècle avant Jésus-Christ, il fut découvert dans une tourbière du Jutland au Danemark. Conservé au Musée de Copenhague, il n’en est pas moins de facture gauloise, comme en attestent de nombreux motifs relatifs à la Gaule. Le lecteur pourra sans doute s’étonner que cet objet soit parvenu jusqu’au Danemark. La raison de sa présence en ce lieu est pourtant toute simple. Souvenons-nous, en effet, que les Gaulois importaient de grosses quantités d’ambre, une résine fossile qui provenait justement des plages du Jutland. Il y a donc fort à parier que ce magnifique chaudron d’argent ait servi de monnaie d’échange. Mais étudions de plus près cet objet. Le chaudron de Gundestrup mesure 69 cm de diamètre et sa profondeur est de 21 cm. Il est entièrement recouvert, tant extérieurement qu’intérieurement, de reliefs au nombre de 13. Il est donc constitué de treize plaques supportant, chacune, une scène différente. La première de ces plaques nous montre des fantassins et des cavaliers gaulois reconnaissables, les uns à leurs longs boucliers ovales avec umbo, les autres à leurs casques surmontés de la rouelle, de cornes, d’un sanglier ou d’un oiseau. Ils sont suivis par des musiciens soufflant dans un carnyx (trompette à gueule de fauve). S’il ne peut y avoir de doute sur l’origine des guerriers représentés, on reste, par contre, plus que circonspect devant l’interprétation « officielle » relative au plus grand personnage précipitant un homme la tête la première dans un vaste vase. D’après les spécialistes, il s’agit là d’un sacrifice humain. Cependant, ils s’étonnent du mode sacrificiel, celui-ci n’étant pas propre aux Celtes mais aux… Germains ! Si les Celtes n’employaient pas cette méthode pour sacrifier leurs victimes, alors pourquoi s’entêter à décrire cette scène d’une façon erronée ? Ce faisant, on fait preuve également d’une méconnaissance totale de la mythologie celtique. Ce vase dans lequel on plonge l’individu, n’est-ce pas plutôt le chaudron de Brân ? Dans ce cas, nous ne sommes pas en présence d’un récipient qui donne la mort mais, au contraire, ressuscite les morts ! Ce qui se conçoit parfaitement, vu que le mythe du chaudron (ou du vase ou de la coupe) a toujours été associé au mystère de la résurrection, que ce soit avant ou après Jésus-Christ. Et ce n’est pas la légende arthurienne du Saint Graal qui nous contredira. Avec la plaque numéro 4, nous nous retrouvons en pays connu. Outre plusieurs animaux, celle-ci nous présente Cernunnos coiffé de sa ramure de cerf. De sa main droite, il tient un torque, alors que les doigts de sa main gauche serrent le cou d’un serpent à tête de bélier. Nous ne reviendrons pas sur le symbolisme de Cernunnos dont le bestiaire qui l’entoure nous ramène, encore une fois, à ses rapports étroits avec la nature. Cependant, le serpent auquel il est très souvent associé, nous conduit à penser que Cernunnos était peut-être aussi une divinité chtonienne. Avant de laisser cette plaque, nous remarquerons le personnage chevauchant un dauphin. Il est vrai que les Celtes entretenaient de très bons rapports avec ces mammifères marins. D’ailleurs, les Gaulois de la Méditerranée avaient coutume de les utiliser pour la pêche. Les dauphins rabattaient le poisson dans les filets des pêcheurs et, en remerciement pour leurs services, les gaulois leur abandonnaient une partie de leurs prises et leur donnaient du pain trempé dans du vin dont, paraît-il, ils raffolaient. La plaque numéro 3 a, quant à elle, laissé les chercheurs dans l’expectative. Sophus Müller y a vu le buste de la déesse du soleil entouré par des éléphants et des griffons. Par contre, il n’a pas compris le sens de ce qu’il prend pour deux roues à six rayons. En fait de roues, il s’agit de « fleurs de vie », un symbole presque aussi vieux que le monde et que l’on retrouve de l’Inde au Pays Basque. Nous ne nous étalerons pas sur le sens de ce symbole qui a été longuement expliqué dans plusieurs ouvrages. Que le lecteur sache, cependant, que la Fleur de Vie est liée au mystère de l’incarnation. Enfin, les griffons sont là pour nous parler d’Alchimie, de l’union des deux natures contraires (du fixe et du volatil), prouvant ainsi l’immense étendue du savoir des druides, lesquels avaient sans doute donné des consignes bien précises au génial ciseleur du chaudron de Gundestrup. D’autres plaques mériteraient certainement d’être décrites et analysées, mais cette tâche nous entraînerait trop loin de notre propos.

Pour clore le chapitre sur l’art celte, nous parlerons d’un dernier objet : le miroir de Desborough. Son dos est une véritable merveille où des motifs relativement complexes se reflètent d’un côté à l’autre à partir d’une ligne centrale invisible. En outre, les figures représentées semblent être les mêmes, sauf qu’elles se répètent à une échelle différente. Il faut se rendre à l’évidence, nous sommes en présence d’une fractale, soit d’un objet mathématique trouvant ses règles dans la fragmentation (la structure gigogne pouvant être une autre définition). Le problème est que le terme de « fractale » n’a été inventé qu’en 1974, alors que notre miroir remonte au 1er siècle avant Jésus-Christ…

De l’art celte nous passons naturellement à la mythologie celtique, le premier n’étant que l’expression figurée de la seconde. Cette mythologie, d’une richesse incomparable, va nous plonger au cœur de croyances séculaires et nous amener à la rencontre d’étonnantes révélations.

Au risque de nous répéter, rappelons que les Celtes vivaient en parfaite harmonie avec la nature. Il n’y a donc rien de surprenant à ce qu’ils aient conservé de nombreuses traditions des hommes du Néolithique, voire du Mésolithique, comme un véritable culte pour les eaux et les mondes minéral, végétal et animal. Ainsi, sources, fontaines et ruisseaux étaient vénérés, de même que les fleuves et les rivières dont certaines portaient les noms de « Deva » ou « Devona », ces termes signifiant « la divine ». Les arbres faisaient l’objet d’une dévotion similaire, notamment le chêne (Robur) et le pommier (Abellio). D’après Pline l’Ancien, les druides croyaient que la présence du gui révélait celle du dieu sur l’arbre qui le portait. Par conséquent, ce n’est pas sans cérémonie qu’ils cueillaient cette plante parasite, devenue symbole d’éternité et de l’immortalité de l’âme humaine. Les animaux, à l’instar du cheval, du taureau, du sanglier, de l’aigle et du corbeau, étaient aussi adorés. Du reste, leur effigie figurait sur de nombreuses pièces gauloises. Le chien, quant à lui, était l’animal bénéfique par excellence. Sa fonction psychopompe lui permettait, en effet, de guider les défunts dans le passage sombre de la mort.

Les mégalithes, que l’on avait, un moment, attribués aux Celtes, puis aux hommes du Chalcolithique, s’avèrent bien trop anciens pour que les uns ou les autres en aient été les bâtisseurs. Mais si les pierres levées restent un mystère, il est, par contre, certain que les druides en avaient percé les secrets, à moins que ces derniers ne leur aient été confiés avec d’autres connaissances ancestrales. De sorte que nombre de cérémonies étaient organisées autour des dolmens et des menhirs, ceux-ci ayant été placés dans des lieux de haute énergie tellurique. Ces emplacements, où se concentrent les forces de la nature, y compris celles provenant du cosmos (les mégalithes faisant office de points de connexion entre la terre et le ciel), devinrent sacrés aux yeux des Celtes qui pouvaient y voir des manifestations du divin ou de l’invisible. Et ce sont sans doute ces mêmes forces naturelles qui les amenèrent à croire aux elfes, aux korrigans, aux sylphes et aux ondines.

A côté de ces puissances anthropomorphes existait un panthéon celtique bien plus en rapport avec l’idée que l’on peut se faire des dieux.

Chez les Gaulois, le « Dis Pater » (le « père divin ») était la déité la plus importante. Tous les Gaulois prétendaient être issus du Dis Pater, ce dernier n’étant pas vu comme un père biologique mais comme le père de leur âme immortelle. Ce concept ne peut se comprendre que si on se place du point de vue de leur principale croyance qui avait trait à la transmigration des âmes. Cette foi en la réincarnation était même encouragée par les druides comme nous le prouve ce conte bardique intitulé « le Peredur » : « Des deux côtés de la rivière s’étendaient des prairies unies. Sur l’une des rives, il y avait un troupeau de moutons blancs et, sur l’autre, un troupeau de moutons noirs. A chaque fois que bêlait un mouton blanc, un mouton noir traversait l’eau et devenait blanc. A chaque fois que bêlait un mouton noir, un mouton blanc traversait l’eau et devenait noir. » L’interprétation de ce conte est fort simple, le mouton noir représentant l’âme emprisonnée dans la matière qui, lorsqu’elle se désincarne, s’en va rejoindre le monde spirituel symbolisé par le troupeau de moutons blancs. A contrario, le mouton blanc qui devient noir après avoir traversé la rivière, est assurément une âme qui vient s’incarner dans le monde matériel symbolisé par le troupeau de moutons noirs. Ainsi qu’on peut en juger, nous sommes bien loin d’une religion polythéiste, mais bel et bien en présence d’une religion monothéiste, qui plus est annonciatrice du christianisme des premiers temps. Ce qui n’empêcha pas les Celtes, et surtout les Gallo-Romains (sans doute influencés par les Romains), de diviniser plusieurs éléments, ou événements, venant rythmer leur vie.

En complément féminin du Dis Pater, sans toutefois pouvoir l’égaler, nous trouvons la Déesse-Mère ou Terre-Mère, venue tout droit de la préhistoire et rappelant la Déméter des Grecs. Elle était cette terre génératrice et nourricière sans laquelle toute vie était impossible.

Avec Teutatès, l’une des divinités de la triade gauloise, nous sommes une nouvelle fois renvoyés au Dis Pater, auquel il était souvent comparé. Et il est, d’ailleurs, fort probable que nous ayons affaire au même dieu. Teutatès n’était-il pas considéré comme le père du peuple ? Il était également le conducteur des âmes. Mais au lieu de les entraîner, après la mort, dans le sombre royaume souterrain de Pluton, il les conduisait dans ces groupes de globes lumineux, dans ces constellations aux clartés mystérieuses qui parsèment l’immensité de la voûte céleste.

Dans la triade gauloise venaient prendre place deux autres dieux : Esus et Taran (ou Taranis). Esus était un dieu bûcheron dont le rôle était d’inspirer les combats. Quant à Taran, il n’était autre que le dieu du tonnerre et de la foudre.

Autre dieu d’importance pour les Gaulois : Albiorix (roi du monde). Véritable Mercure gaulois, Albiorix était l’inventeur de tous les arts utiles. Connu aussi sous le nom de Rigisamos (très loyal), il assurait la protection des routes et des voyageurs. A ses côtés figuraient presque toujours, en tant qu’animaux symboliques, le bouc et le coq.

Belenos, pour sa part, était l’équivalent d’Apollon. Le « Très Brillant » était réputé éloigner les maladies et faire jaillir des sources salvatrices. En tant que divinité solaire, il était fêté le 1er mai, date qui commémorait le renouveau du soleil et de la vie. C’est aussi en son honneur que l’on organisait, le 24 juin, les feux et les danses de la Saint-Jean (proches du solstice d’été). Enfin, notons que Belenos était le patron des beaux-arts et de la beauté en général.

Ne pouvant être exhaustif dans ce défilé de divinités gauloises, nous terminerons notre énumération par l’Hercule gaulois : Ogmios. N’ayant ni la jeunesse ni la force de son modèle greco-romain, Ogmios n’en portait pas moins les principaux attributs, soit la peau de lion, la massue et l’arc. Mais là s’arrêtait la ressemblance, car l’Hercule gaulois était un vieillard décrépit et ridé, presque chauve, traînant derrière lui, à l’aide de longues et minces chaînes d’ambre et d’or suspendues à sa langue et à ses lèvres, tout un peuple d’auditeurs qui le suivaient avec joie. Ogmios était donc le dieu de l’éloquence. Dans la mythologie irlandaise, que nous allons voir dans un instant, il devient Ogmé et est réputé être l’inventeur des caractères oghamiques.

En Irlande, les traditions celtiques se sont bien mieux conservées que sur le continent. A cela, deux raisons essentielles : la première vient du fait que les druides pourchassés en Gaule, sous les règnes de Tibère et de Claude, purent trouver refuge d’abord en Grande-Bretagne, puis en Irlande. En ce dernier lieu, ils parvinrent à se maintenir près de quatre siècles, ne cédant que pas à pas du terrain face à l’avancée du clergé chrétien. De sorte que leur enseignement resta plus longtemps vivace en ce lieu. La deuxième raison trouve son fondement dans le travail des moines irlandais qui s’attachèrent, au Moyen-Age, à consigner la mythologie de leur pays dans des manuscrits richement décorés.

Au nombre de ces textes qui sont parvenus jusqu’à nous se trouve le « Livre des Invasions », lequel raconte une protohistoire de l’Irlande particulièrement mouvementée.

Tout commença après le grand déluge, lorsque la magicienne Cessair décida de venir s’installer sur l’île avec les siens. Un grand malheur pourtant la frappa, au point de la faire disparaître, elle et tout son monde. L’Irlande se retrouva donc à demi-déserte pendant un temps difficile à déterminer, jusqu’en 2640 avant Jésus-Christ où l’île vit débarquer sur ses côtes le prince Partholon avec vingt-quatre couples venus tout droit de Grèce. Au bout de 300 ans, ce groupe avait suffisamment prospéré pour atteindre une population de 5.000 âmes. Toutefois, une terrible épidémie survint et les décima entièrement. Entre-temps, les « fils de Nemred », originaires de Scythie, s’étaient installés sur la terre d’Irlande, de même que les hommes de Bolg, près de 200 ans après. Mais la plus grande invasion vint des îles du Nord avec l’arrivée des « Tuatha Dé Danann » (Tribu de la déesse Dana). Considérés comme des êtres divins, les Tuatha Dé Danann devinrent très vite les maîtres de l’île. N’étant pas venus les mains vides, ils étaient fiers d’exhiber le glaive de Nuada, la lance de Lug, le chaudron de Dagdé et la pierre du Destin qui avait la particularité de crier quand le roi légitime d’Irlande s’asseyait sur elle. La lance de Lug avait valu à ce dernier le surnom de « Lug-à-la-Longue-Main ». Il s’agissait d’une arme terrifiante qui n’était pas sans rappeler nos plus puissants lasers. Quant au chaudron magique de Dagdé, il était capable de nourrir les hommes de la terre entière. Pour puissants qu’ils étaient, les Tuatha Dé Danann ne durent pas moins livrer bataille, car ils avaient des ennemis presque aussi forts qu’eux : les « Fomoré ». Les Fomoré étaient des géants monstrueux qui étaient réputés avoir été les premiers habitants de la terre et, par conséquent, de l’Irlande. Sans doute jaloux du pouvoir des Tuatha Dé Danann, ils leur déclarèrent la guerre et une première bataille eut lieu à Mag Tuireadh (la plaine des piliers, soit la plaine des menhirs). Les Tuatha Dé Danann sortirent vainqueurs du combat, mais ils eurent à regretter de nombreuses pertes. Leur roi Nuada, lui-même, eut la main droite tranchée. Elle fut heureusement remplacée, grâce au talent du guérisseur Diancecht, par une main d’argent et articulée qui avait tout d’une main bionique. Cependant, Nuada « à la Main d’Argent », considéré comme diminué, dut abdiquer en faveur de Bress, fils de la Dé Danann Eriu et du Fomoré Elatha, ce dernier nom signifiant « le savoir ». Bress ayant exercé le pouvoir avec tyrannie, il fut chassé du trône pour être remplacé par Nuada qui, entre-temps, avait retrouvé sa main naturelle, greffée par Miach, le fils de Diancecht. Fou de colère et n’aspirant qu’à la vengeance, Bress persuada les Fomoré de repartir en guerre contre les Tuatha Dé Danann. Dans chaque camp, les troupes se préparèrent pendant sept longues années. Chez les Tuatha Dé Danann, Goïbniu forgea de nouvelles armes, tandis que Diancecht fit jaillir une source qui avait la faculté de guérir les blessures et ressusciter les morts. Cette eau miraculeuse fut, néanmoins, neutralisée par les Fomoré qui y jetèrent des pierres maudites. Enfin arriva le jour de la grande bataille qui prit place dans la Moytura du Nord, une plaine parsemée de mégalithes. La lutte fut terrible, et nombreux furent ceux qui tombèrent des deux côtés. Grâce à son œil, Balor, le chef des Fomoré, frappa mortellement Nuada. Mais il fut, à son tour, tué par Lug qui usa de sa fronde magique pour lui crever son « mauvais œil ». Finalement, les Tuatha Dé Danann vinrent à bout des Fomoré, lesquels furent rejetés à la mer. Une fois débarrassés des Fomoré, les Tuatha Dé Danann ne profitèrent pas très longtemps de leur suprématie. A peine s’étaient-ils remis de leur dernier combat qu’ils durent affronter des envahisseurs venus de l’empire des morts : les « Milésiens ». Au cours de ce conflit, les trois derniers rois des Tuatha Dé Danann trouvèrent la mort. Les survivants de la tribu de Dana obtinrent néanmoins la paix au prix de leur exil. Après avoir cédé l’entier territoire de l’Irlande, ils s’en allèrent dans le pays d’Au-delà.

Au cours de ce récit, dont les éléments nous viennent tout droit du Moyen-Age (gardons bien ce fait à l’esprit), nous avons déjà pu mesurer l’ampleur de cette technologie censée avoir été utilisée à l’époque celtique. Mais en étudiant d’un peu plus près cette mythologie irlandaise, nous découvrons des informations tout aussi époustouflantes, voire plus encore. Revenons, tout d’abord, sur le personnage de Balor. Ainsi que nous venons de le voir, son « œil » était une arme terrifiante. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il fallait pas moins de quatre hommes pour soulever, à l’aide d’un croc, la paupière de l’œil en question. Et quand il s’ouvrait, l’œil lançait une décharge d’une telle puissance qu’il était capable de foudroyer des dizaines d’adversaires à la fois. Lug, de son côté, avait condamné les fils de Tuirenn à lui rapporter la « lance de feu » appartenant à Piséar, roi de Perse, ce qui n’était pas une mince affaire. En effet, ladite lance ne pouvait être manipulée qu’avec d’infinies précautions, en la maintenant notamment dans un récipient rempli d’eau sous peine qu’elle n’enflamme tout ce qui l’entourait. De sorte que certains auteurs n’ont pas hésité à voir dans la lance de Piséar une barre de plutonium radioactif ! Les enfants de Llyr, Brân et Manannan, possédaient, quant à eux, de bien étranges objets. Comme évoqué plus haut, Brân était l’heureux propriétaire d’un chaudron magique qui avait le pouvoir de ressusciter les morts ; et Manannan, son frère, voyageait dans des véhicules lui permettant d’aller aussi bien dans l’espace que de naviguer sur les eaux (il avait une « barque sans voiles ni avirons »). Manannan avait, paraît-il, trois jambes. L’île de Man, dont il fut le roi, a conservé ce souvenir dans ses armes, les trois jambes y apparaissant dans un mouvement qui nous rappelle le triskèle. Enfin, Manannan semble avoir assisté à une effroyable explosion nucléaire, comme nous le prouve cet extrait du texte intitulé « Mannawyddan fils de Lyr » : « Ce soir-là, pendant que les serviteurs étaient en train de manger, ils sortirent tous les quatre et se rendirent avec leur suite au tertre d’Arberth. Comme ils y étaient assis, un grand coup de tonnerre se fit entendre, suivi d’un nuage si épais qu’ils ne pouvaient s’apercevoir les uns les autres. La nuée se dissipa et tout s’éclaircit autour d’eux. Lorsqu’ils jetèrent les yeux sur cette campagne où auparavant on voyait troupeaux, richesses, habitations, tout avait disparu, maisons, bétail, fumée, hommes, demeures ; il ne restait que les maisons de la Cour, vides, sans une créature humaine, sans un animal. Leurs compagnons même avaient disparu sans laisser de traces… »

Comment, au Moyen-Age, pouvait-on décrire des armes aussi destructrices ? En outre, n’oublions pas que les moines irlandais se contentaient de rappeler des faits survenus plus d’un millénaire avant eux. Tout ceci reste un mystère. Aussi, laisserons-nous le lecteur se forger sa propre opinion sur ce sujet.

On ne peut, bien entendu, parler des Celtes sans dire quelques mots sur leurs maîtres spirituels qu’étaient les druides.

Bien que leur enseignement n’ait été qu’oral et que deux empereurs romains se soient acharnés à les faire disparaître, nous avons conservé, dans notre mémoire collective, l’image de ces hommes (et femmes) de blanc vêtus qui guidaient le peuple dans leur vie de tous les jours. Preuve qu’il s’agissait de personnages d’importance dont les descendants des Gaulois ont gardé une certaine nostalgie. Mais qui étaient-ils au juste ? Les druides font officiellement leur entrée dans la littérature grecque au IIIème siècle avant Jésus-Christ. Mais il est plus que probable qu’ils s’installèrent parmi les Celtes vers le VIème siècle avant notre ère. Ce qui signifie que les premiers druides n’étaient peut-être pas des Celtes à l’origine, même si leurs successeurs étaient ensuite choisis – et instruits – parmi ce peuple. D’où venaient-ils alors ? Nul ne le sait. Toujours est-il que, par leur immense sagesse et leurs connaissances non moins grandes, ils ne tardèrent pas à s’imposer aux chefs des tribus, au point qu’aucune décision importante ne pouvait être prise sans leur accord.

Le mot même de « druide » vient de « daru – vid », ce qui signifie le « très voyant » ou le « très savant ». Néanmoins, une différentiation doit être opérée entre trois sortes de personnages que l’on aurait tendance à désigner sous le terme générique de « druide ». C’est Pline l’Ancien qui nous apprend à les distinguer : « Cependant l’étude des sciences dignes d’estime commencée chez les bardes, les vates et les druides, a été menée par des hommes cultivés. Les bardes ont chanté aux doux accents de la lyre, composant des vers héroïques sur les exploits des plus braves ; les vates se sont efforcés, par leur recherche, d’accéder aux événements et aux secrets les plus hauts de la nature ; parmi eux, les druides l’emportent par leur génie, ainsi que l’autorité de Pythagore en a décidé. » Diogène Laërce avait également une haute opinion des druides, voyant en eux des précurseurs dans le domaine de la philosophie, bien avant les grecs : « Quelques-uns affirment que l’étude de la philosophie a commencé chez les Barbares. Les Mages la pratiquaient chez les Perses, les Chaldéens chez les Babyloniens ou les Assyriens, les Gymnosophistes chez les habitants de l’Inde, ainsi que chez les Celtes et les Gaulois ceux qu’on appelle Druides et Semnothées. » La référence aux « Semnothées » que l’on associe aux « Druides » est d’importance car, en grec, le mot « Semnothées » signifie littéralement « les hommes vénérables d’origine divine », comme l’a très justement remarqué l’archéologue et chercheur au CNRS Jean-Louis Brunaux. Ce qui nous montre combien les druides étaient respectés en Gaule, leur aura ayant atteint jusqu’aux Grecs.

Formant un véritable corps sacerdotal, les druides étaient aussi bien hommes de Dieu qu’hommes de science, et leur enseignement avait une si grande réputation que les familles gauloises voyaient avec bonheur l’admission de leurs enfants auprès de tels maîtres. Outre le fait qu’un grand savoir leur était inculqué – il fallait vingt années pour former un druide – les élèves savaient que, s’ils parvenaient à obtenir ce titre envié « d’homme vénérable », cela leur procurerait de grands avantages : haute position sociale (car personne n’était au-dessus des druides), exemption du service militaire, etc…

Comme nous l’avons déjà vu, les connaissances druidiques étaient exclusivement transmises par voie orale, ce qui ne veut pas dire que les druides ignoraient l’écriture, bien au contraire. Le grec, le latin, le lépontien et l’hébreu leur étaient familiers, même s’ils préféraient utiliser l’alphabet grec dans la rédaction des actes administratifs. Ils avaient, par contre, une écriture qui leur était propre : l’écriture oghamique. Les oghams étaient formés à partir de traits verticaux ou diagonaux portés sur une ligne horizontale. Apparentés aux runes, les oghams étaient principalement utilisés pour la divination.

Chez les Celtes, l’art divinatoire n’était pas pris à la légère. Demandant une bonne dose d’intuition, il était essentiellement confié aux druidesses, les femmes, très considérées dans la société celte, pouvant, bien entendu, accéder au rang de « Semnothées ». Pour les druidesses, il existait un lieu particulièrement sacré à leurs yeux : l’île de Sein, située juste en face de la pointe du Raz. D’ailleurs, neuf druidesses y demeuraient en permanence. Elles étaient réputées pouvoir commander aux flots qu’elles soulevaient ou apaisaient à leur guise.

Bien entendu, de nombreux autres lieux étaient considérés comme sacrés par les Gaulois et leurs prêtres, et en premier la forêt des Carnutes. Gigantesque territoire boisé s’étendant de la Seine à la Loire, la forêt des Carnutes avait été choisie par les druides en tant que position centrale de la Gaule. C’est donc en ce lieu, siège du culte druidique, qu’ils organisaient, chaque année, leurs grandes réunions.

 

Enfin, en tant que détenteurs de la connaissance divine, que nous pouvons comparer à la gnose, les druides dirigeaient la spiritualité du peuple celte et leur avaient notamment inculqué ce principe de réincarnation qui, d’après Jules césar, conduisait les Gaulois à ne point craindre la mort. Les secrets de la gnose étant difficiles à enseigner, on peut imaginer que les druides prodiguaient, à la façon des parfaits cathares, deux enseignements : un enseignement ésotérique, réservé aux seuls initiés et donc à la caste des druides, et un enseignement exotérique et simplifié, beaucoup plus accessible au peuple. Il ne s’agissait pourtant pas de laisser ce dernier dans l’ignorance. Aussi les druides s’étaient-ils évertué à transcrire leurs plus hautes connaissances dans les symboles, symboles que nous retrouvons dans l’art celtique. De cette manière, ils étaient certains que leur savoir ne se perdrait pas, comme ils avaient aussi le secret espoir que l’esprit de quelques-uns s’ouvrirait devant la figuration de l’indéfinissable. Parmi les symboles qu’ils utilisaient, se trouvait l’incontournable croix druidique connue sous le nom de « Rodabellug ». Cette dernière comprenait trois cercles concentriques appelés respectivement « Abred », « Gwenved » et « Keugant ». L’Abred représentait le monde terrestre, celui de l’incarnation où l’homme est soumis aux épreuves. Après la mort, les âmes arrivent dans Gwenved, un plan de pureté où elles baignent dans l’amour et la connaissance. Mais le troisième cercle, Keugant, est, quant à lui, beaucoup plus difficile d’accès. C’est le plan divin, le plan où l’homme est appelé à devenir un dieu. Accessible à peu d’élus, c’est pourtant vers lui que tend le but de notre existence. Tout le monde doit y parvenir, mais au prix de combien de réincarnations !

Beaucoup d’autres choses mériteraient d’être dites sur les druides, ces sages dont le souvenir s’est perpétué à travers les âges. Mais nous ne pouvons être exhaustifs en la matière, tant le sujet est immense. Reconnaissons, toutefois, qu’ils ont façonné cette civilisation celte au point d’en faire l’une des plus brillantes civilisations que la terre ait connues. Et comment serait notre monde aujourd’hui si la civilisation romaine ne s’était pas employée à détruire ce qu’elle ne comprenait pas ? Sans doute aurait-il été bien meilleur que celui que nous connaissons aujourd’hui…

Pascal Cazottes

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