Pétition en fin d’article, interview de Lucian Canfora sur la colonisation romaine des gaules et le système esclavagiste romain

Pline l’ancien : “La guerre des gaules fut un crime contre le genre humain”

Rome n’a pas oublié César. Devant le Colisée, cet été, des soldats impériaux débonnaires en sandales et baudrier crient son nom pour divertir les hordes de touristes barbares. Face au Panthéon, des supporteurs, qui fêtent la victoire – his-to-ri-que! – de l’AS Roma dans le championnat d’Italie, agitent des drapeaux sur lesquels on lit: «Veni, vidi, vici!»… Au pays de Berlusconi, le passé antique, fût-il folklorique, a toujours valeur de symbole, rappelant qu’il fut un temps – fier, conquérant, glorieux – où l’Europe était romaine… Glorieux” L’historien Luciano Canfora, professeur à l’université de Bari, auteur de La Tolérance et la vertu (éd. Desjonquères) et d’une magistrale biographie de César, César, le dictateur démocrate (Flammarion), a revu cette période à la lumière des chroniqueurs de l’Antiquité. C’est pis que ce que l’on croyait: la démocratie était un leurre, et la conquête, un génocide… Et pourtant, explique Canfora, c’est bien dans ce creuset que naît une idée, celle d’une Europe moderne, unifiée, qui va désormais nous hanter…

“La pax romana, c’était la guerre !”

Jules César, et la romanisation, à l’origine de l’Europe moderne… C’est ce que vous suggérez dans la biographie extrêmement documentée que vous avez consacrée au dictateur. César dépeint en premier Européen, c’est quand même un peu provocateur, non?
L’historien allemand Droysen avançait cette comparaison polémique: comme Alexandre le Grand a créé la civilisation hellénistique au IVe siècle avant l’ère chrétienne en réunissant la Grèce et l’Orient, Jules César aurait fondé la civilisation européenne occidentale en mêlant le monde du Sud et le monde celtique. Ce qu’Alexandre a fait pour l’Orient, César l’a fait pour l’Occident, qui est donc né de la conquête romaine… Mais il y a une différence de taille: l’entreprise de César fut sanglante, elle a étranglé la civilisation précédente par un véritable génocide, et a été menée afin non pas de propager la culture latine, mais bien pour satisfaire sa carrière personnelle. 

Le dessein des Romains n’était donc pas de créer une Europe unifiée sous leur contrôle? La conquête était pourtant bien amorcée depuis les guerres puniques.
Attention! Nous avons toujours tendance à regarder le déroulement de l’Histoire comme inévitable, comme s’il n’y avait eu qu’une seule voie possible, celle que nous connaissons. Si l’on fait de l’ «Histoire hypothétique» et que l’on imagine par exemple qu’Hannibal ait gagné contre Scipion, on aurait eu un empire hellénique en Italie méridionale et en Afrique… Non, il n’était pas inscrit dans le destin de l’Europe du Midi qu’elle devait devenir romaine. Rappelons qu’ «Europe» est un mot grec: Hérodote en parle d’ailleurs comme d’un ensemble très limité. Pour les Romains, il y a l’Italie et ses provinces, c’est tout. L’Europe romaine est une idée d’historien, une forme de rhétorique posthume. Et ce n’était pas non plus l’ambition première de César. Pour lui, la conquête était un moyen d’obtenir des légions, car cela lui donnait un pouvoir réel à Rome. C’était donc d’abord un outil de politique intérieure, et en même temps un moyen d’enrichir ses soldats, d’obtenir de l’or et des esclaves… 

 

Destin ou non, intention ou pas, il n’empêche que cette Europe romaine va se faire, et notamment par la guerre des Gaules, qui est, selon vous, une étape historique majeure parce qu’elle engage la romanisation de l’Occident.
Oui. De manière définitive, elle coupe en deux le monde celto-germanique, transformant les Celtes en civilisation marginale du monde latin. Jules César adopte une politique de division, il dresse les peuples les uns contre les autres. Il s’ensuit huit ans de guerre continuelle, impérialiste. Dans le récit qu’il trace des guerres en Britannie, Tacite analyse cet impérialisme romain d’une manière très convaincante. Salluste également, dans les fragments de ses Histoires, son oeuvre principale, qui a été malheureusement en grande partie perdue… L’élément militaire fut fondamental: les Romains disposaient de techniques de guerre évoluées, ce qui – c’est toujours le cas dans l’Histoire – permet de devenir non seulement le vainqueur, mais aussi le civilisateur. Ensuite, la postérité en vient à justifier la violence du conquérant. 

A ce propos, vous employez le terme de «livre noir de la guerre des Gaules», et vous parlez d’un génocide de plus de 1,2 million de victimes, ce qui est vertigineux pour des guerres au corps à corps… On est loin de l’hagiographie écrite par César lui-même dans sa Guerre des Gaules.
Oui. Pline l’Ancien, qui avance ce chiffre dans son Histoire naturelle, ajoute: «Je ne peux pas placer parmi les titres de gloire un si grave outrage fait au genre humain.» Plutarque parle de 1 million de victimes et 1 million de prisonniers. On pense qu’un tiers de la population gauloise aurait été éliminé physiquement, ce qui permet d’oser le mot «génocide». Appien annonce 400 000 morts au cours de la seule campagne contre les Usipètes et les Tenctères, en 55 avant Jésus-Christ. A Xanten, entre la Meuse et le Rhin, César feignit de trouver un accord avec les chefs germains, les fit prisonniers et envoya ses légions massacrer hommes, femmes et enfants. La population fut entièrement éliminée. Cette monstruosité souleva les protestations de Caton à Rome – non par humanité, mais par calcul politique – et pourtant le Sénat loua César. Celui-ci décrit d’ailleurs ses carnages, tel celui des Belges, avec des mots simples: «C’est ainsi que, sans courir de danger, nos soldats en massacrèrent autant que la durée du jour le leur permit.» Voilà comment la Gaule et le monde celtique furent immergés, par la violence et le génocide, dans l’océan de la «civilisation romaine». 

Comment explique-t-on cette incroyable barbarie?
Le modèle de cette conquête, c’est la guerre contre les esclaves, expérience centrale dans l’histoire de la République romaine. Quand les esclaves s’étaient révoltés, on les avait éliminés physiquement de manière totale. Ce fut le cas en Sicile, à partir de – 135, où fut conduit un massacre complet, et lors de la célèbre révolte de Spartacus, entre – 73 et – 71, qui s’est conclue par l’étalage, le long de la via Appia, de milliers d’esclaves crucifiés. Tel était le modèle: l’élimination complète de l’adversaire. Elle était justifiée par un racisme de base: les esclaves n’étaient pas considérés comme des hommes. Les autres peuples ne le furent pas non plus. Il était exclu que les Barbares puissent avoir un sens de l’honneur et de la loyauté, comme il sera exclu, pour les conquistadors espagnols, que les Indiens d’Amérique puissent avoir une âme. Il était donc normal de les exterminer, d’autant plus que cela contribuait à la richesse romaine. 

De quelle manière?
J’en ai la conviction, ce sont ces gigantesques pillages, cette exploitation totale des richesses des pays conquis, ces tonnes d’or acheminées à Rome, ces millions de personnes mises en esclavage, qui ont permis à l’Empire romain de durer si longtemps sur un si vaste territoire. L’économie romaine était fondée sur l’exploitation sauvage qui consistait à massacrer ses adversaires ou à les asservir, et à les dépouiller entièrement de leurs richesses. 

Vous qualifiez César de «dictateur démocrate». On comprend pour dictateur. Mais démocrate?
Le mot n’avait pas alors le même sens qu’aujourd’hui. Que signifie la démocratie dans la cité antique? «Démocratie» est un mot grec. Pour les Romains, c’est un terme négatif. Lorsqu’ils évoquent Athènes, ils y voient un excès de liberté. Les vrais «citoyens romains», ce sont en fait des aristocrates, une couche parasitaire qui exploite la masse immense des non-citoyens. César exerce son pouvoir personnel comme un monarque, à travers l’armée et non pas par l’élection des magistrats. Son modèle, c’est celui, monarchique, charismatique, des grands souverains orientaux, qui deviennent des dieux, et cela séduit davantage ses soldats que la vieille République avec ses élections. 

Une fois l’Europe conquise, le modèle s’impose. On dit parfois que certains peuples, comme les Gaulois, aspiraient à la civilisation romaine.
C’est comme si Hitler avait gagné la guerre et que l’on dise que l’Europe avait souhaité être germanisée! Cette idée n’est que propagande, reprise par les auteurs grecs qui essayaient de plaire aux Romains! Il n’y a aucune source celtique sur cette époque… Ce fut Simone Weil qui, à la fin des années 1930, dans Hitler et la politique extérieure romaine, a rappelé combien les auteurs grecs s’étaient montrés serviles à l’égard de Rome en racontant cette période. 

La romanisation fut donc bien une occupation brutale.
Oui. Partout, on commence par la répression. On extermine les populations, puis, quand la résistance s’affaiblit, on s’allie les élites et on leur distribue le plus grand des privilèges, la citoyenneté romaine. Gagner les classes dirigeantes locales, c’est le grand secret de la domination romaine. Tacite raconte comment l’empereur Claude plaidera plus tard devant le Sénat l’opportunité d’accueillir en son sein les notables de Gaule: «Les Grecs n’ont pas su accorder la citoyenneté, sauf à quelques rois minuscules. Cela a condamné Athènes à la décadence.» La citoyenneté est donc utilisée comme un instrument d’unification impériale. César, lui, n’a pas l’idée d’une Europe. Mais d’une Italie souveraine et de ses provinces… 

Jamais dans l’Histoire, à l’exception peut-être de la tentative nazie, on ne verra pourtant une Europe aussi homogénéisée, sur un territoire aussi immense, comme le montre la carte…
C’est une vision illusoire: cette Europe-là fut en réalité éphémère. A l’est, l’empire des Parthes était un danger permanent; et on combattait sans interruption sur le Rhin et le Danube. Même chose dans l’Angleterre méridionale, même chose en Espagne… La conquête de César était superficielle: elle s’est implantée lentement, d’abord par les grands axes de communication, les agglomérations urbaines. Mais les campagnes n’étaient pas contrôlées. Et elles ont résisté pendant deux siècles, jusqu’à l’époque des Antonins. Pendant tout ce temps, l’Europe occidentale fut en révolte. La lecture de Tacite le montre bien: la guerre était partout. Le seul point fort de l’Empire romain, c’était l’Orient et l’Afrique du Nord. 

Quid de la fameuse pax romana, cette vision d’un territoire romanisé enfin serein et harmonieux?
La pax romana, c’était la guerre! Du récit que Tite-Live avait consacré aux campagnes d’Auguste il n’est resté, hélas, que le sommaire. Mais celui-ci montre très clairement que l’on a combattu presque chaque année! La période «pacifique» de l’Empire est une illusion d’optique dont nous sommes redevables, une fois encore, aux Grecs, qui ont loué le bonheur, la prospérité, la paix et autres bienfaits que Rome aurait offerts au genre humain. En réalité, les guerres furent incessantes. Au point que, pendant toute cette période, la population de l’Ancien Monde n’augmenta pas. 

Il était donc logique, en somme, que l’Empire s’effondrât…
Cela s’est produit à partir du IIIe siècle après Jésus-Christ, quand les Romains ne furent plus en mesure de conquérir de nouveaux esclaves et de nouvelles richesses. Alors, la décadence a commencé. Le grand historien anglais Arnold Toynbee prophétisait: «La manière dont s’est terminé l’Empire romain est un prélude à notre histoire future.» Mais ce n’est qu’une prophétie, bien sûr… Ce qui unissait les sociétés anciennes, c’était la réalité de l’esclavage. Et ce que nous a légué le passé, nous le devons surtout aux esclaves, qui sont toujours cachés quelque part derrière le tableau. 

«Quelle Europe aurions-nous sans César?» vous demandez-vous dans votre biographie, sans donner de réponse.
Qui peut le dire? Les Celtes et les populations germaniques auraient peut-être entamé une destruction réciproque. Ou une entente, ce qui s’est, au fond, produit par la suite… 

Que reste-t-il de l’Europe de César maintenant?
Les axes de communication, l’architecture des villes, l’organisation internationale du commerce, l’administration en provinces… Et le droit romain, qui s’est construit au fil du temps… Mais le droit germanique a subsisté aussi jusqu’à aujourd’hui, ce qui prouve que le modèle romain ne s’imposait pas obligatoirement. 

Vous n’hésitez pas à chercher des comparaisons entre le césarisme et le fascisme. En histoire, l’analogie n’est plus un tabou?
Comprendre comment l’Europe est devenue fasciste à un certain moment exige une compréhension historique profonde. L’analogie est évidemment dangereuse, elle peut être trompeuse. Mais elle est inévitable, car elle est une manière de lire notre passé. On sait que le fascisme est un produit italien, qui a commencé ici au début du XXe siècle, et que Mussolini sollicitait volontiers l’image de César, d’Auguste et de Napoléon. L’imaginaire fonctionne aussi comme facteur d’Histoire, on ne peut le nier. Bien sûr, Jules César ne peut pas être sorti de son contexte. C’est un pur produit de son époque, intelligent, curieux, cultivé, bien plus intéressant qu’Auguste. Et il n’avait pas conscience d’avoir créé un modèle. Mais le césarisme vit encore aujourd’hui: la tentation bonapartiste, le rapport charismatique entre les masses et le chef, la dictature militaire, tout cela se niche encore à l’intérieur des institutions. Et même dans les démocraties occidentales… 

source : https://www.lexpress.fr/informations/luciano-canfora-la-pax-romana-c-etait-la-guerre_643047.html

Pour faire reconnaître le génocide gaulois, c’est ici :

Notre nation et son peuple souffre d’un traumatisme toujours pas reconnu : le génocide des Gaulois, le premier crime contre l’humanité de l’histoire est toujours ignoré par la république. Si l’on veut qu’une blessure guérisse, il ne faut pas l’ignorer mais la soigner ! La république reconnait plusieurs génocides mais pas celui des Gaulois, pourquoi cette différence de traitement ? Je vous encourage à signer la pétition pour la reconnaissance du génocide Gaulois :

Signer la pétition : https://www.change.org/p/pagans-esprit-viking-com-reconnaissance-du-g%C3%A9nocide-gaulois-comme-crime-contre-l-humanit%C3%A9

 

Vie et mort d’un empire
753 av. J.-C.: naissance de Rome.
De 335 à 270: les Romains partent à la conquête de la péninsule italienne.
De 264 à 146: guerres puniques, contre les Carthaginois. Scipion conquiert l’Espagne, puis le littoral africain.
146: en Orient, Rome fait de la Macédoine et de la Grèce ses provinces.
121: la Gaule méridionale devient à son tour provincia romana.
59: César est élu consul.
De 58 à 51: guerre des Gaules. César va jusqu’en Grande-Bretagne. L’immense empire aura 14 provinces.
44: César est assassiné au Sénat.
43: l’Empire est partagé entre Lépide, Antoine et Octave.
27: Octave prend le titre d’Auguste. La République est morte.
IIe et IIIe siècles apr. J.-C.: la pax romana, une paix relative selon Canfora.
395: l’Empire, assailli par les Barbares, est partagé entre Occident et Orient.
476: les Barbares s’emparent de Rome. C’est la fin de l’Empire romain d’Occident. 

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